Augustin Normand
Modélisme |
POURQUOI PAS ? Le mixte et le mythe
Quelle famille!
Pour
mettre à leur place chacun de ces constructeurs navals rien de tel qu’un arbre
généalogique. Pour cela cliquez sur la photo de Jacques
Le Génie
Civil. Revue
générale des industries françaises et étrangères, n° 128, 12 janvier 1907,
pp. 179-180
Voici la notice nécrologique de
Jacques Augustin Normand
que le site http://www.patronsdefrance.fr
nous autorise à publier (site que je vous invite à visiter
pour en savoir plus sur de nombreuses
personnalités qui
ont fait notre histoire industrielle.
JACQUES-AUGUSTIN
NORMAND
La
marine, l'industrie et la science française viennent d'éprouver une grande
perte : M. Augustin Normand,
L’éminent
constructeur du Havre, a succombé le 11 décembre dernier, à l'âge de
soixante-sept ans, à une
longue maladie qui, en terrassant son énergie physique, a respecté
jusqu'à la dernière minute son admirable intelligence
La mort
de ce savant modeste a été douloureusement ressentie, non seulement par la
marne française qui le
considérait comme une des gloires les plus pures, mais par les nombreux
amis qu'il avait à l’étranger où sa réputation s'était imposée
depuis de longues années. Tous ceux qui ont eu, comme l’auteur de ces lignes,
le bonheur de le connaître et de l’approcher fréquemment,
conserveront toujours le souvenir de son exquise bonté, de la
complaisance indulgente avec laquelle il enseignait ceux qui faisaient appel à
sa science. Respecté de tous pour la dignité de sa vie et la
fermeté de ses convictions, aimé de tous ceux qui avait eu avec lui des
relations mêmes passagères, M. Augustin Normand restera, dans
sa vie privée, le modèle de toutes les vertus qui élèvent l’homme
au-dessus des foules.
Mais ce
que nous avons surtout à faire ressortir ici après avoir payé à M. Normand ce
juste tribut de respect
et d’affection, c’est le rôle éminent qu’il a joué dans l’histoire des constructions
navales et la grande part qu’il a prise au développement de
notre marine nationale. Jacques-Augustin Normand, né le 4 octobre 1839,
appartenait à une lignée de constructeur qui offre l’exemple peut-être
unique dans l’histoire de l’industrie, celui d’une maison se
transmettant de père en fils pendant sept générations. Il existait, en effet,
un constructeur du nom de Normand établi à Honfleur en 1688 ;
il eut pour successeur son fils François, né en 1716, mort en
1765 ; puis, le fils de ce dernier, André-François Normand, auquel succéda
Joseph-Augustin Normand (1753-1808). La collection de modèles
pieusement conservée par la famille renferme encore ceux de
trois navires à voiles :
N.-D.-de-Bon-Secours, construit en 1735, par François Normand.
Roland, construit en 1758, par André Normand.
Saint-Étienne, construit en 1764, par
Joseph-Augustin Normand.
C'est
par Augustin Normand, fils de Joseph-Augustin, né en 1792 et mort en 1871, que
le chantier fut transféré
au Havre en 1816, sur l’emplacement même qu'il occupe encore
aujourd'hui, mais étendu et modernisé. Augustin Normand a
construit, au Havre, soixante quinze navires de toutes dimensions dont
quelques-uns sont restés célèbres : nous citerons, entre
autres, le Corse (1842), qui s'est appelé ensuite le Napoléon, et
qui a été le premier navire à hélice construit en France après
les essais de l’Archimède, pour faire le service postal entre Marseille
et Ajaccio ;
le
Grille, yacht à vapeur pour le roi de Prusse (1857) ;
le
Cassard (1858) yacht du prince Jérôme ; le Château-Renaud (1868)
aviso pour la marine militaire ;
l’Hirondelle
(1869),
yacht de l'impératrice
Eugénie :
le
Pétrel et l’Antilope (1870), avisos à roue pour l’État.
Dès 1816,
Augustin Normand avait construit un paquebot en fer, à roues, le Finistère pour
le service du Havre
à Morlaix.
Un
autre petit vapeur, le Cygne, construit en 1881, fait encore, dans
d'excellentes conditions, le service entre Carteret et Jersey.
Nous n'avons
pas à insister ici sur la réputation qu'Augustin Normand s'est acquise dans le
monde entier par
la perfection de sa construction, par la conscience scrupuleuse apportée a
l'exécution des moindres détails. En 1871, Augustin Normand
mourut, laissant la direction de ses chantiers à son fils Jacques-Augustin, que
la mort vient d'enlever à son tour à la marine française, et qui
transmet cette lourde charge à son fils aîné, Augustin, né en
1881, associé depuis plusieurs années déjà à ses travaux.
Nous ne
saurions passer sous silence, dans cette énumération des directeurs successifs
des chantiers du Havre, le second fils d’Augustin Normand, Benjamin,
qui s'était voué à l'étude des machines à vapeur, avec une remarquable prescience des
perfectionnements qui leur ont été apportés dans la suite. On ne doit pas
oublier que, dès 1861, il a construit une machine à triple
expansion, bien avant que ce système fût admis par les autres constructeurs.
La
carrière scientifique de M. Jacques-Augustin Normand présente cette
particularité, assez rare à
l'époque actuelle, que son éducation toute familiale, eut lieu en
dehors des grandes écoles. La puissance remarquable de travail
dont il était doué lui permit d'acquérir une vaste érudition, non seulement
dans les questions essentielles au constructeur de navires,
mais dans toutes les branches de la science. Un de ses délassements
favoris était l'étude de l'astronomie, et il a publié, de 1874 à 1888,
plusieurs mémoires qui établissent sa compétence indiscutable
dans ces questions ; Notes sur la détermination de la
parallaxe solaire, sur les occultations d'étoiles par
les planètes, sur la navigation stellaire,
Dès
l'âge de vingt-quatre ans, il communiquait à l'Académie des Sciences une note
sur la résistance au
choc des matériaux, et l’année suivante il publiait un mémoire sur
l'application de l'algèbre aux calculs des bâtiments de mer,
complété plus lard par les Formules approximatives de construction navale qui
ont rendu tant de services aux constructeurs.
La mort
de son père, en 1871, en reportant tout entière sur lui la lourde
responsabilité d'un chantier devenu très important, amena une interruption de quelques
années, non pas dans ses éludes, mais dans leur publication. A partir
de 1877, soit en brochures publiées par lui-même, soit en communication à
l'Académie des Sciences, au Mémorial du Génie maritime, à
la Société des Ingénieurs civils, à l'Association technique maritime, à
l'Institution des Naval Architects, il publie une suite
ininterrompue de notes et de mémoires dans lesquels il aborde toutes les
questions importantes touchant à l'utilisation des divers types de
navires de guerre, au calcul des coques, à la construction des
machines et des hélices.
La
plupart de ces oeuvres ont eu un grand retentissement; certaines sont devenues
classiques, comme
celles qui ont trait aux calculs des bâtiments de mer, et qui ont remplacé par
des formules mathématiques les règles empiriques employées
jusqu'alors. Les études sur la cavitation et les hélices font également
autorité. Continuant la tradition de sa maison, M. Normand a
construit une cinquantaine de bateaux de toutes dimensions, en
bois, en fer, en acier, bateaux-pilotes, remorqueurs, canonnières, avisos pour
la marine, yachts de plaisance, bateaux à passagers, sans
compter les canots de sauvetage qui rendent de si grands services entre
les mains de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés et la Chambre de
commerce du Havre ; nous citerons, entre autres, comme navires
de guerre le :
Bisson (1873), le la Bourdonnais
(1874),
le Hussard (1876),
le Dumont-d’Urville
(1877),
le Sagittaire et le Capricorne
(1880),
le Lion et le Scorpion
(1888), canonnières mixtes, en fer recouvert d'un double bordage croisé
en bois;
comme
yacht, le Velox, goélette qui a été un des meilleurs marcheurs de son
temps.
Mais
c'est surtout dans la construction des bâtiments extrarapides qu'il obtint les succès les
plus brillants et acquit la réputation
universelle
qui s'attache à son nom.
Les premières éludes de Thornycroft décidèrent de la nouvelle
orientation donnée aux recherches de M. Normand ; en 1877, il
mit en chantier ses deux premiers torpilleurs et, depuis cette époque,
il a doté la marine française de quatre-vingt-dix torpilleurs et
contre-torpilleurs, qui tous ont donné aux essais des
résultats supérieurs aux conditions stipulées.
C'était
une entreprise hardie, à l'époque où M.Normand aborda ce problème que de
garantir des vitesses
de 18 noeuds avec des coques dont le déplacement ne dépassait pas 30
tonneaux : mais il à quoi il s’engageait et, en effet, le
premier torpilleur livré réalisa 18,25 noeuds, le second 19 noeuds et demi.
Bientôt vint un autre type un peu plus grand, de 45 tonneaux de
déplacement, qui dépassa 20 noeuds aux essais ; puis, par une
progression continue, les torpilleurs de premières classe sont arrivés à 93
tonneaux environ et 27 noeuds ; ceux dits de « haute mer », à
deux hélices, dont la construction est actuellement suspendue, sont passés
de 110 tonneaux et 21 noeuds, en 1889, à près de 160 tonneaux en 1902, et on
atteint la vitesse prodigieuse de 31,5 noeuds, qui n’a jamais
été dépassée avec des machines ordinaires. Vers 1898, Augustin
Normand créa de toutes pièces un type de contre-torpilleur de 55 mètres de
longueur et 280 tonneaux de déplacement, dont les résultats
furent si satisfaisants que la marine l'adopta définitivement et l'imposa
aux autres constructeurs comme à ses propres arsenaux. Les deux derniers
contre-torpilleurs livrés par le chantier du Havre, en 1903,
sont encore plus puissants : leur déplacement dépasse 300 tonneaux, et leur
vitesse aux essais a atteint pour l’Arquebuse, 30,75 noeuds,
pour l’Arbalète, 31,37 noeuds.
Il ne
faut pas s'étonner qu'en présence de résultats aussi remarquables par leur
régularité et leur progression constante, les marines étrangères se soient
fréquemment adressées à M. Normand; il a en effet, livré à diverses nations
une vingtaine de torpilleurs ou contre-torpilleurs, sans compter ceux qui ont
été construits sur ses plans dans le pays même. Aussi M. le
Ministre de la Marine, en rendant un hommage mérité à la mémoire de M.Normand,
a-t-il pu prononcer à la tribune du Sénat ces paroles applaudies : « Sa mort a
été une perte des plus douloureuses pour la marine française
et aussi pour l’industrie française, car il a peuplé bien des escadres
étrangères de bâtiments faits sur ses plans; si bien que, pendant la
guerre russo-japonaise, on pouvait voir des bâtiments de M.
Normand dans la flotte russe et dans la flotte japonaise... »1. A ces deux
nations, il faut ajouter, pour être complet, l'Espagne, la
Suède, le Danemark,les États-Unis. Le succès des torpilleurs
de M Normand n'a pas été dû seulement
àla perfection du tracé de leurs lignes, mais pour une grande
part aux améliorations qu'il a, grâce à une étude constante, apportées aux
machines, aux hélices, aux chaudières. C'est à lui qu'est dû l'emploi
des réchauffeurs d'eau d'alimentation, des filtres â éponges,
des bielles amincies permettant une certaine flexion sans diminuer la
résistance, etc.
Mais
c'est surtout du côté des chaudières que se sont portés ses efforts. Les
premiers torpilleurs
avaient des chaudières du type locomotive, dont les fuites incessantes
présentaient les plus graves inconvénients ; à cette même
époque (1876), le commandant Du Temple venait d'inventer son générateur à tubes
d'eau, qui paraissait contenir, à l'état embryonnaire, la solution du problème.
M. Normand commença par modifier la chaudière Du Temple de
façon à améliorer la circulation des gaz chauds et cet appareil,
connu sous le nom de « Du Temple-Normand », fut placé sur quelques torpilleurs.
Mais bientôt il apporta des modifications plus complètes et
créa presque de toutes pièces une chaudière qui, bien que dérivant du principe
du générateur Du Temple, s'en différencie par la forme et le mode de
fixation des tubes dans les collecteurs, aussi bien que par le
trajet imposé aux gaz à travers le faisceau tubulaire : c'est la chaudière
Normand à flamme directe, qui a donné au Forban sa
vitesse de 31 noeuds. M. Normand a, plus tard, créé un type analogue, mais à
retour de flammes, et, en collaboration avec M. Sigaudy,
ingénieur en chef des Forges et Chantiers de la Méditerranée, un type
de chaudière « double-ended », qui a été placé sur plusieurs croiseurs français
et étrangers.
M.
Normand était membre correspondant de l'Académie des Sciences, vice-président
de l'Association technique
maritime, dont il avait été, de sa fondation, l’un des soutiens les
plus actifs et les plus éclairés, membre de la Société des Ingénieurs
civils de France, de l'Institution of Naval Architects, de l'Institution of
Civil Engineers, de la Schiffbautechnische Gesellschaft, et
jamais il n'assistait aux réunions de ces Sociétés sans y apporter quelque idée
nouvelle, quelque mémoire empreint de son remarquable esprit
d’observation et d’étude. Il était officier de la Légion d’honneur depuis 1891.
Nous
rappellerons enfin que le principal Ingénieur de la maison Normand, aujourd’hui
âgé de soixante-dix sept
ans, y est entré à l’âge de douze ans et continue encore le dur métier
qui consiste à diriger les essais des torpilleurs ; que dans
le personnel ouvrier les fils succèdent aux pères, comme les directeurs l’ont
fait.
C’est
par ces traditions, qui font de la maison Normand une grande famille, que M.
Auguste Normand fils
se sentira soutenu dans l’accomplissement des lourdes fonctions qui lui
incombent aujourd’hui.